Transposer l’univers du jeu à celui du milieu de l’entreprise, tel est le credo de cette façon de travailler qui touche dorénavant tous les secteurs professionnels : la gamification ou ludification en bon québécois. Tous les secteurs ouvrent les bras à cette nouvelle approche marketing de l’apprentissage qui est un vrai terrain de jeu pour les responsables des ressources humaines des entreprises, pour les collaborateurs ainsi que pour les clients B2C et les consommateurs. Cependant, la gamification traîne encore derrière elle certaines idées reçues qui n’ont plus lieu d’être en 2021.
Première idée reçue : le jeu, c’est pas sérieux !
Dis-moi et j’oublierai. Enseigne-moi et je me souviendrai. Implique-moi et j’apprendrai.
Benjamin Franklin
Benjamin Franklin, écrivain et génial inventeur américain du 18e siècle avait déjà tout compris. Néologisme de langue anglaise désormais très plébiscité dans le monde du marketing, l’objectif de la gamification qui fait le buzz depuis quelques années est de détourner les mécanismes habituellement attribués aux jeux classiques et aux jeux vidéo puis de les adapter dans n’importe quel autre domaine. Comme par exemple celui des entreprises, de la santé, du divertissement, du marketing, ou encore de la formation professionnelle. En effet, se former à un savoir sans jouer semble être en perte de vitesse. Seule solution pour motiver les troupes et augmenter leur implication dans leur travail : rendre ludique l’apprentissage d’un savoir et le développement des compétences de façon individuelle ou collective et faire ainsi vivre une expérience unique, que ce soit pour les employés ou pour les clients.
Côté B2C, la gamification vise le consommateur déjà accoutumé des jeux vidéo et des réseaux sociaux, la génération Y. Impliquer cette dernière biberonnée au joystick et aux mangas dans le cadre d’un jeu est l’occasion de l’attirer vers une nouvelle expérience client, de le fidéliser à long terme et par conséquent de trouver des leviers pour augmenter les ventes. En effet, impliquer ces digital natives noyés dans des services web plus ou moins similaires dans des scénarios inédits, motivants et marquants peut avoir des conséquences positives pour la marque proposant cette activité tels que le sentiment d’attachement et de proximité.
Si les principes et les dispositifs de la gamification sont utilisés à bon escient, les bénéfices pour l’entreprise sont multiples. Apprendre tout en jouant permet d’abord d’accrocher et d’engager celui qui se forme et renforce par conséquent à long terme la motivation et la loyauté de ce dernier envers son employeur. Outre une capacité de retenir plus facilement le savoir transmis et de l’appliquer dans leur travail, la gamification cimente également l’esprit d’équipe et favorise la collaboration dans un esprit de compétition avec à la clé des récompenses pour les gamers et un gain de productivité pour l’entreprise.
Dépasser des challenges dans un contexte décalé et différent, transformer un travail répétitif et fatigant en « serious game » ou en quizz divertissants et métamorphoser l’utilisateur en « héros » qui progresse de tableaux en tableau est un levier pour que ce dernier se dépasse et atteigne ses objectifs. Enfin, suivant l’adage populaire « c’est en trébuchant que l’on apprend à marcher », c’est en réalisant des erreurs que l’on apprend. A condition de bien identifier cette dernière et de comprendre pourquoi on « meurt ». Déchiffrer son erreur et de réessayer et d’adopter une nouvelle stratégie va permettre à l’utilisateur de mieux retenir le message et l’apprentissage.
Seconde idée reçue : la gamification, ça ne concerne que les jeunes !
Les accrocs aux jeux vidéo vont pouvoir mettre en pratique leurs milliers d’heures passées la manette collée à la main ou les yeux rivés en permanence sur l’écran de leur smartphone et enfin mettre en avant dans leur situation professionnelle ce qu’on leur a reproché pendant des années. Jeux-concours, quizz, « serious game », « advergame » (jeu vidéo publicitaire) ou encore simulateurs faisant intervenir la réalité virtuelle, les moyens de susciter le client ou l’employé sont multiples et expliquent le succès de la gamification qui se repose sur le principe que la vie est un jeu et que tout le monde est plus ou moins sensible aux mécanismes des jeux sous toutes ses formes.
Si l’on pense tout de suite aux jeunes générations, les Millenials, l’étude de Médiamétrie publiée en mai 2019 montre que cet intérêt pour le gaming touche toutes les générations tous sexes confondus. Plus d’un quart des Français (25,2 %) de 13 ans et plus ont au moins un contact avec un jeu vidéo tous les jours, avec une proportion naturellement plus forte chez les 13-24 ans (42 %) que chez les 25-34 ans (30 %) ou les 35-49 ans (26 %).
Parce que jouer avec ses amis et proches est un plaisir et permet de révéler chacune de nos personnalités, jouer dans un cadre plus professionnel ont les mêmes implications. La taxonomie de Bartle est un test créé en 1996 par l’universitaire britannique et co-créateur du jeu Multi-User Dungeaon (MUD) Richard Bartle et qui consiste en une série de 30 questions avec deux réponses possibles pour chacune d’entre elles. Réalisé sur plus de 800 000 personnes, ce test va lui permettre de dégager 4 profils d’utilisateurs dans les MMORPG, à savoir les jeux en ligne multijoueur de masse : les killers (tueur), les socializer (social), les explorer (explorateur) et les achiever (collectionneur).
L’utilisateur sondé peut ainsi correspondre à l’un des quatre profils selon un pourcentage plus ou moins important et définir sa préférence : agir avec les joueurs ou le monde ou interagir avec les joueurs ou le monde. Si les killers cherchent à gagner coûte que coûte et sont plus intéressés par la compétition et le duel, les achievers s’orientent vers la quête et la collection des badges. Pour les socializers, c’est l’interaction avec la communauté qui prime alors que pour les explorers, la connaissance approfondie du jeu va prendre l’essentiel de son temps. Si les quatre profils définis semblent en apparence s’opposer, ils se complètent finalement au sein d’une équipe.
En France, de nombreuses entreprises ont « gamifié » non seulement leur propre système de recrutement (comme L’Oréal avec Reveal dont les missions permettent de révéler les personnalités des candidats ou Thalès avec Moonshied, un jeu de science-fiction qui cible les jeunes ingénieurs) mais également le secteur de la formation interne professionnelle. La société spécialisée dans les assurances AXA, par exemple, propose des serious game à ses managers pour répondre à leurs besoins de formation en vente et en relation client. Avec Mission Antitrust, Michelin va former de manière ludique ses équipes marketing et vente en matière de droit à la concurrence. Quant à la société Renault, elle a développé Renault Academy qui est directement destiné à ses vendeurs en concessions de voitures et qui leur permet de se former à la vente des modèles de la marque.
Troisième idée reçue : la gamification n’est qu’une tendance managériale de plus
Née en tant que tendance il y a déjà quelques années, la gamification des stratégies marketing, des ressources humaines ou de la formation professionnelle, que ce soit à l’attention des salariés ou destinés au consommateur, est véritablement devenue maintenant le reflet d’une époque dans laquelle la frontière entre le travail et le loisir se réduit comme une peau de chagrin. Telle une rivière qui déborde de son lit naturel, le jeu investit désormais tous les secteurs. Jusqu’au game over ?